Ils se seront au moins rencontrés là.

Ils se seront au moins rencontrés là.

Cette phrase, on la trouve au détour de la cinquième des Douze propositions pour une école écrites par Antoine Vitez. À la fin d’un paragraphe, comme ça, l’air de rien, comme un ajout ou le rappel, courtois, de la modestie qu’il convient de conserver quand les objectifs, par ailleurs, sont ambitieux.

Il savait très certainement, à quel point cette formule anodine, pouvait devenir l’essentiel, et que tous les grands principes contenus dans ces  » propositions « , n’existeraient alors que pour la justifier et la nourrir… Puisqu’aussi bien, il devait se douter, à partir du moment où ils se sont rencontrés là, que ces exigences, formulées pour nous, les élèves, pourraient devenir nos sources communes pour toute une vie. Non plus des principes, mais nos réalités.

C’est à l’École que j’ai rencontré mes amis : Cyril Bothorel, Éric Louis et Gilbert Marcantognini.

Si Antoine Vitez a permis notre amitié, il a aussi contribué à en dresser les obligations, reconduites encore chaque jour avec les vivants. Ainsi nos différences – nos humanités singulières – sont le ferment et aussi la frontière ultime du sens, sur le plateau de théâtre, car l’acteur est au centre, au milieu du cercle de l’attention. C’est lui, l’acteur, qui est à l’origine de tout, et non pas des architectures, ou pire des opinions, préétablies à la scène. Ou encore qu’il n’y a pas de théâtre sans nécessité, que notre solidarité émane de toute l’histoire et de la mémoire du théâtre et que, dans le travail, tel qu’on le livre au public, il faut au moins, que toute cette histoire millénaire, soit à nouveau racontée.

Nous ne pouvons nous contenter de cette amitié mais il nous faut la produire, dans ses élans et ses difficultés, pour qu’elle serve à construire ce pourquoi nous avons investi le plateau, ce pour quoi le texte existe dans son mouvement humain et solidaire, ce pourquoi le théâtre survit. Nous poursuivons ce chemin sans fin, pour les morts et ceux à naître. Nous n’avons pas oublié. Nous nous sommes rencontrés là.

Yann-Joël Collin