Expositions

On connaît le goût d’Antoine Vitez pour l’écriture, moins sa pratique assidue de la photographie. Il était le fils d’un photographe de quartier : le studio de son père, Paul, où sa mère faisait aussi les retouches, était situé au rez-de-chaussée de l’appartement familial à Paris. Adolescent, Vitez a commencé par photographier sa famille. Avant d’élargir, à partir des années 1960, à sa famille élective, celle du théâtre.

A partir de ses archives – plusieurs milliers de négatifs, des planches-contacts, des tirages, méticuleusement triés, indexés, annotés – ses deux filles ont constitué deux expositions : l’une consacrée aux « Portraits de famille » présentée à l’Espace Niemeyer, l’autre aux acteurs qu’il photographiait dans la salle de maquillage, juste avant l’entrée en scène. Elle est présentée au Vieux Colombier et est intitulée « Portraits au miroir »

En théâtre comme en photographie, Antoine Vitez aimait explorer les méandres de l’intime, les fragilités et l’intériorité des individus. « C’est drôle comme le vocabulaire de la photographie s’applique aussi au théâtre, remarque sa fille, Jeanne Vitez. Fixer, révéler… Il y avait chez lui une quête de l’identité. »

Les images d’Antoine Vitez se concentrent sur l’humain : rares sont les paysages, les natures mortes. Le photographe prend des portraits, sur le vif, qu’il offre ensuite à ses amis. « Au milieu d’une conversation, il prenait son appareil et déclenchait, tout en continuant à parler« , se souvient Jeanne Vitez.

LE MOMENT CRUCIAL

Les portraits de proches exposés à l’espace Niemeyer – des retirages modernes – sont des vues en gros plan de facture classique, cadrage sage et lumière maîtrisée : acteurs aux yeux agrandis par le maquillage, amis jeunes ou ridés, enfants au regard intense.

Leur vraie originalité tient à la crudité que Vitez photographe s’autorise parfois. Comme dans les portraits de sa mère, dont il expose le vieillissement : il la fait poser, à plusieurs reprises, le visage fané, une photo de jeunesse dans les mains. Ou dans les autoportraits où l’artiste se voile et se dévoile simultanément, totalement nu et pourtant caché derrière son appareil.

Mais ce sont les « Portraits au miroir », qui sont les plus aboutis. L’instant est toujours grave.

Madeleine Marion, en 1980, fixe son reflet et celui du photographe comme si elle avait vu un fantôme. Jany Gastaldi, avant le marathon du Soulier de satin à Barcelone, en 1987, a le regard perdu bien au-delà de son texte.

Dans la salle de maquillage, Antoine Vitez saisit le moment crucial où la personne se métamorphose en personnage. Et redouble, par la photographie, l’ambiguïté du moment : jouant avec les miroirs, il s’amuse à déconstruire les corps, à couper les mains, à multiplier les visages. On ne sait plus où s’arrête le cadre, où commence l’homme. Quand ce n’est pas le photographe lui-même qui s’invite dans l’image par le biais d’un reflet, présent et absent comme à travers un masque.

Claire Guillot

le Monde, 17 avril 2010